1. Qu’est-ce que le dépistage ?
Le dépistage désigne l’ensemble des actions visant à détecter une maladie avant l’apparition de symptômes, afin de pouvoir intervenir plus tôt et d’améliorer les chances de guérison. Dans le cas du mélanome (un cancer de la peau se développant à partir des cellules pigmentaires) il n’existe généralement pas de symptômes spécifiques (tels qu’une douleur ou des démangeaisons) permettant d’alerter le patient. Le plus souvent, il s’agit d’une modification purement visuelle d’une lésion cutanée. Le dépistage du mélanome consiste donc à repérer, par un examen attentif de la peau, toute lésion suspecte qui, en l’absence de gêne particulière, n’aurait pas nécessairement incité la personne concernée à consulter.
Le dépistage populationnel (ou dépistage de masse) consiste à proposer un examen systématique à toute une population, qu’elle présente ou non des facteurs de risque. L’objectif est de repérer les cas encore non diagnostiqués de la maladie dans la communauté. Exemple : inviter toutes les personnes de plus de 20 ans d’une région à se faire examiner la peau, même si elles n’ont aucun signe particulier.
Le dépistage ciblé vise uniquement les personnes ayant un risque plus élevé de développer la maladie, sur la base de facteurs connus (antécédents personnels ou familiaux, caractéristiques physiques, expositions solaires importantes, etc.).
2. Pourquoi le dépistage systématique de toute la population pose-t-il question dans le cadre des cancers cutanés ?
Encadré : D’après l’éditorial publié dans le JEADV de mai 2024 des Professeurs Efthymia Soura et Alexander Stratigos1.
Une étude menée en 2004 a proposé un dépistage des cancers de la peau, dont le mélanome, à l’ensemble des adultes de plus de 20 ans d’une région allemande. Les résultats ont offert un éclairage précieux sur les limites du dépistage de masse.
Ainsi, 360 000 personnes ont été examinées, ce qui a permis de détecter de nombreux mélanomes. Un résultat déterminant de cette étude est le fait que 90 % des mélanomes diagnostiqués étaient à un stade précoce de leur évolution.
À première vue, ces résultats semblaient encourageants. Cependant, l’analyse à plus long terme révèle une réalité plus nuancée. Si une diminution de la mortalité liée au mélanome a effectivement été observée cinq ans après cette campagne de dépistage, cette amélioration ne s’est pas maintenue dans le temps. Deux années supplémentaires plus tard, les taux de mortalité étaient revenus à leur niveau initial, soulevant des interrogations sur l’efficacité réelle de cette approche systématique.
Les autorités sanitaires américaines se sont également intéressées à cette question. Après avoir analysé l’ensemble des données disponibles sur la prévention et le dépistage du mélanome, les experts ont conclu que le dépistage n’apportait aucun bénéfice direct sur la survie globale2. Là encore, les lésions majoritairement dépistées semblaient concerner des formes précoces de la maladie.
Une autre étude3 a comparé les caractéristiques des mélanomes diagnostiqués lors d’un dépistage à ceux découverts en dehors de ce cadre. Elle a révélé que les mélanomes détectés par dépistage étaient effectivement plus souvent à un stade précoce in situ (limité à la couche superficielle de la peau) ou invasif de faible épaisseur (cancer qui a commencé à s’étendre mais reste peu profond), comme dans l’étude allemande citée précédemment.
3. Pourquoi le dépistage des formes précoces n’est-il pas nécessairement synonyme de réduction de la mortalité ?
Dépister plus de mélanomes, quel que soit le stade, peut sembler bénéfique. Mais la réalité est plus complexe : il existe un risque de surdiagnostic, c’est-à-dire la détection de lésions qui n’auraient jamais évolué vers une forme grave ou mortelle.
Autrement dit, une partie importante des lésions diagnostiquées lors d’un dépistage de masse n’auraient probablement pas entraîné le décès de la personne concernée, ce sont des mélanomes dits indolents.
Ceci a déjà été observé avec d’autres types cancers non cutanés, comme le cancer de la thyroïde, du sein, de l’ovaire, du poumon ou de la prostate4–7. Le dépistage de cancers à croissance très lente, n’a pas toujours de bénéfice pour la survie des personnes diagnostiquées, mais a un risque de surtraitement et d’effets secondaires.
Pour le mélanome, l’augmentation importante du nombre de cas diagnostiqués ces dernières années aux États-Unis a concerné essentiellement des lésions de stade précoce et ne s’est pas accompagnée d’une baisse significative de la mortalité8,9.
Même si elles sont indirectes, ces données apportent des informations précieuses pour comprendre la situation10. En Europe, on ne dispose pas de ce type de statistiques, car elles sont difficiles à collecter. Et il serait impensable de réaliser une étude qui comparerait la survie de personnes ayant une lésion suspecte traitée avec celle de personnes chez qui on déciderait de ne rien faire : ce serait contraire à l’éthique médicale.
4. Pourquoi ce type de dépistage pourrait-il devenir contre-productif ?
L’étude allemande de 2003 a montré que le dépistage généralisé avait une rentabilité médicale faible : il fallait examiner 620 personnes pour détecter un seul mélanome11. Le nombre de cas détectés par rapport aux moyens investis (ressources médicales, coûts engendrés par les consultations et le retrait des lésions) est donc faible alors que l’impact logistique sur le système de santé est considérable.
La situation actuelle, marquée par une démographie médicale sous tension, se traduit par des délais d’attente longs pour consulter un dermatologue, parfois plusieurs mois dans certaines régions. Plus la demande augmente, plus ces délais augmentent et plus les personnes réellement à risque voient leur accès aux soins retardé.
5. Quelle démarche semble adaptée pour un dépistage efficace ?
Si le dépistage de toute une population ne semble ni souhaitable ni faisable, un dépistage ciblé est au contraire une option efficace10.
Par exemple, chez les hommes de 65 ans et plus, il faut environ 20 excisions pour trouver un mélanome, contre plus de 50 excisions chez les hommes de 20 à 49 ans11. Identifier les facteurs de risque, tel que l’âge, permet donc d’optimiser la surveillance.
En effet, la science a permis d'identifier avec précision les facteurs qui augmentent le risque de développer un cancer de la peau. Ces critères permettent de définir une population cible pour laquelle une surveillance renforcée est souhaitable.
Les caractéristiques physiques constituent le premier groupe de facteurs de risque :
- Les personnes à la peau très claire et/ou aux cheveux blonds ou roux.
- La présence de taches de rousseur.
- L'existence de nombreux grains de beauté, que l’on peut deviner lorsque leur nombre dépasse déjà 20 sur les bras et avant-bras.
Les antécédents personnels et familiaux représentent un deuxième ensemble de facteurs déterminants :
- Les personnes ayant déjà eu un cancer de la peau.
- Les personnes dont un membre de la famille au premier degré a spécifiquement eu un mélanome (parents, frères, sœurs ou enfants).
L'exposition solaire, enfin, joue un rôle crucial dans le développement des cancers cutanés :
- Les coups de soleil sévères survenus durant l'enfance ou l'adolescence, caractérisés par des douleurs et/ou une peau qui pèle.
- Les séjours de plus d’un an dans des pays à fort ensoleillement comme l'Afrique, le Moyen-Orient ou les départements et territoires d'outre-mer.
Enfin, s'ajoutent à cette liste :
- Les personnes exerçant une profession en extérieur.
- Les personnes ayant eu recours aux séances d'UV en cabine.
L'importance du cumul des facteurs
La présence simultanée de plusieurs facteurs de risque augmente de manière exponentielle la probabilité de développer un cancer de la peau.